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Pour ou contre la série unique en musculation : avis SuperPhysique




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La série unique est sans doute l’une des méthodologies les plus controversées et débattues de ce début de siècle dans le milieu de l’entraînement et les sciences du sport. Et comme souvent dans une joute scientifique, les enjeux sont beaucoup plus complexes qu’ils n’y paraissent. Vous restez ouvert à la discussion ? Cet article va vous passionner.

Depuis le simple débat d’idées jusqu’à la guerre des théoriciens, la bataille sur le thème du volume d’entraînement en musculation rejoint désormais les « classico » que sont la nutrition et les étirements. Deux visions de l’entraînement, diamétralement opposées. De nombreux enjeux sous-jacents avec, en filigrane, la fragile et complexe interaction entre le « terrain » et les sciences du sport.

Les rapports que le monde de l’entraînement entretient avec la recherche scientifique sont en effet pour le moins ambivalents. Souvent accusés de changer d’avis comme de chemise ou d’élaborer, depuis leur tour d’ivoire, des théories farfelues complètement décontextualisées du terrain, les chercheurs sont souvent décriés. Pourtant, la lecture de quelques manuels d’entraînement, de sites internet, de blogs ou de magazines amène à un constat sans appel : les praticiens du sport invoquent sans cesse la science pour justifier leurs pratiques. C’est donc une sorte de schizophrénie qui frappe le monde de l’entraînement : la science dit n’importe quoi, mais on s’y réfère malgré tout sur la plupart des sujets abordés.

Car quand il y a débat sur l’efficacité d’une méthode, l’argument presque irréfutable reste la publication scientifique. D’ailleurs, quelle prise de position écrite, aussi vulgarisée soit-elle, pourrait avoir un quelconque crédit si elle n’avait pas sa sacro-sainte bibliographie.

Et pourtant, une fois l’ordinateur éteint, le réalisme du terrain reprend, implacable, le dessus. Bien sûr il y a eu les propositions théoriques absurdes car totalement inapplicables sur le terrain, qui ont rendu à ce dernier la force du dernier mot. On peut citer des méthodes comme le 10 x 10 à 75% de la force maximale, ou encore les séries de contractions excentriques en amont du développement de la force concentrique qui ont très vite montré leurs limites dans les salles de musculation.

Mais la science est prompte à l’auto-critique et un relatif consensus se dégage souvent, débouchant sur des méthodes d’entraînement pérennes. Ce ne fut pas le cas pour le débat sur la série unique.

Dans cette interaction complexe entre science et terrain, il semble logique et raisonnable, comme en de nombreuses circonstances, de ne pas succomber aux extrêmes. Mais une fois qu’on a affirmé la nécessité d’éviter à la fois le rejet par principe de tout résultat scientifique, et la soumission absolue de la pratique à la recherche, on n’a finalement pas encore dit grand chose. Quelle serait une position médiane ? Peut-on faire confiance à la recherche ? Les scientifiques disent-ils vraiment tout et son contraire ? Finalement, que peut faire un entraîneur des savoirs scientifiques portant sur son domaine d’expertise ?

Il est difficile de prendre un recul critique quand on s’intéresse à des savoirs scientifiques stabilisés. Bien acceptés, ceux-ci s’appuient sur d’autres travaux, chacun renvoyant encore à d’autres travaux, et ainsi de suite… le tout formant souvent une boite noire extrêmement difficile à ouvrir et à explorer pour le non scientifique. Pour s’engager dans une telle entreprise, il est plus facile de se pencher sur les connaissances en cours de formation, encore sujettes à controverses, car celles-ci font apparaître les différents acteurs et les arguments qu’ils mobilisent pour faire valoir leur position. On peut ainsi se faire une idée plus juste de la façon dont se construisent et se discutent les résultats scientifiques et les conclusions qui en sont tirées. Comme nous le verrons, ces informations peuvent être précieuses et lourdes de conséquences pour le praticien qui s’intéresse aux sciences du sport. D’où vient le contenu de ses manuels d’entraînement, des formations qu’il a suivi ? Par quoi et qui est-il influencé ?

Une fois la provenance des savoirs établie, ou du moins éclaircie, il est essentiel d’analyser leur destination. Il s’agit de s’interroger sur le processus de réception de ces travaux : leur vulgarisation, leur réappropriation par les praticiens, leur diffusion. Concrètement : que font les entraîneurs des théories scientifiques ?

Cet article est tiré de deux études portant sur la série unique (dont les références précises sont données à la fin du texte). La première est consacrée à la controverse scientifique. Une quarantaines de textes ont été analysés pour celle-ci : vingt-cinq articles issus de la recherche, huit résumés d’articles et sept lettres ouvertes publiées par des chercheurs. La seconde étude porte sur la réception et la discussion, par les pratiquants, des recherches scientifiques promouvant la série unique. L’analyse a porté cette fois sur des espaces de discussion particulièrement riches : les forums internet. Pour cette seconde étude, cinquante et un fils de discussion répartis sur huit sites internet consacrés partiellement ou intégralement à la musculation ont été passés au crible. Six de ces fils contiennent plus de 100 contributions (le fil le plus important en contient plus de 350) pour une moyenne de vingt-cinq participants, tous sur le forum du site superphysique.org.

L’escalade du conflit

Quarante ans de maturation de la controverse

A partir des années 1970, Arthur Jones, l’inventeur des machines d’entraînement Nautilus et MedX, a défendu l’idée que c’est l’intensité des exercices qui stimule la croissance musculaire et l’augmentation de force plutôt que la quantité de séries réalisées. L’entraînement à haute intensité proposé par Arthur Jones impliquait alors un faible nombre de séries (une ou deux) par exercice, mais chacune devait être poursuivie jusqu’à l’épuisement musculaire. Cette méthode est restée très controversée dans le milieu de la musculation, mais ces dissensions n’avaient pas donné matière à débat sur la scène scientifique. L’année 1998 marque un tournant et le début d’une controverse scientifique virulente. Deux chercheurs, Ralph Carpinelli et Robert Otto, publient un article1  dans lequel ils affirment que rien, dans la littérature scientifique, ne montre qu’il est nécessaire de réaliser plusieurs séries par exercice pour développer la force et le volume musculaire. Selon eux, avec une intensité d’effort suffisante, les séances basées sur une seule série par exercice seraient allégées et permettraient des gains similaires aux méthodes classiques de musculation reposant sur l’exécution de plusieurs séries par exercice. Les partisans de la série unique (Carpinelli, Otto et un troisième chercheur, Richard Winett, étant les plus actifs) défendent donc l’idée qu’en procédant ainsi, on permet au sportif un gain de temps et d’énergie pour une efficacité équivalente aux protocoles à séries multiples. Face à eux, le camp des défenseurs des séries multiples est composé notamment de scientifiques proches de deux organisations : l’American College of Sports Medicine (ACSM) et la National Strength and Conditioning Association (NSCA).

L’ACSM et la NSCA sont des associations savantes dont les centres d’intérêt s’organisent autour des sciences du sport. L’ACSM, visée de façon particulièrement virulente par Carpinelli et ses collaborateurs, publie périodiquement des recommandations à l’usage des entraîneurs. Quant à la NSCA, la revue qu’elle édite a publié des études qui ont abouti à la conclusion que les séries multiples sont plus efficaces que la série unique. William Kraemer, membre éminent des deux associations, a été particulièrement impliqué dans les échanges entre les deux camps. Proches de la NSCA, Matthew Rhea et ses collaborateurs ont co-signé plusieurs articles contredisant les propos de Carpinelli, Otto et Winett. Nous citerons enfin Ronald Byrd qui, avec une quinzaine de collaborateurs, est auteur d’une réponse collective à l’article de Carpinelli et Otto qui a initié la dispute, et Richard Berger, auteur de plusieurs études publiées dans les années 1960-70, et qui a aussi pris part aux débats, en faveur des séries multiples.

Le feux au poudre : une remise en cause radicale des séries multiples

Dans leur article de 1998, Carpinelli et Otto passent en revue la littérature sur l’entraînement de la force musculaire. Les auteurs affirment que parmi toutes les études menées jusqu’alors, quasiment aucune ne permet d’affirmer que la répétition de plusieurs séries par exercice dans une séance de musculation amène des gains de force supérieurs à l’exécution d’une seule série par exercice. Carpinelli2 a par ailleurs montré, en croisant toutes les références de nombreux ouvrages et articles qui prônent la supériorité des protocoles d’entraînement à séries multiples, que la seule source qui revient pour appuyer ce point de vue est un article publié par Berger en 19623. Les publications qui ne reposent pas sur cette référence n’avanceraient, selon Carpinelli, aucun élément permettant d’affirmer la supériorité des protocoles d’entraînement à séries multiples. Et encore, cette référence est considérée comme étant bancale par les auteurs : Carpinelli affirme que la plus grande progression des sujets ayant réalisé plusieurs séries dans l’étude de Berger est due à un effet d’apprentissage des exercices de musculation. Les individus ayant réalisé plusieurs séries auraient ainsi appris à mieux maîtriser le mouvement sur l’exercice testé mais n’auraient pas accru leur force plus que les autres. Cette assertion est soutenue par le fait que la différence de progression entre les deux groupes a été notable lors de la seconde semaine de l’étude menée, et ne s’est pas creusée par la suite (l’étude a duré douze semaines en tout). Carpinelli reproche également à Berger le manque de contrôle des variables lors de l’étude (l’entraînement en dehors de l’expérience, la vitesse d’exécution des mouvements ou encore les temps de récupération n’étaient pas contrôlés). Le traitement statistique des données est également remis en cause. Difficile alors de dire à quel facteur était réellement due la différence de progression entre les différents groupes expérimentaux.

Carpinelli, Otto et Winett, publient un nouvel article en 20044, dans lequel ils passent en revue l’ensemble des recommandations de l’ACSM, publiées en 2002 sous le titre « Progression Models in Resistance Training for Healthy Adults »5. Les trois auteurs s’attaquent à la prestigieuse association savante américaine, contestant chacune de ses recommandations relatives au gain de force et d’endurance musculaire, aux principes de planification d’entraînement, au nombre de séries à exécuter, etc. Ils pointent les biais d’une partie des études prises comme références, soulignent également l’omission de plusieurs recherches, et mettent en lumière une utilisation erronée des travaux cités pour appuyer les recommandations à l’usage des praticiens du sport. Dans leurs publications, les trois auteurs ne produisent pas directement de recherche visant à prouver le bien-fondé de leurs assertions. Ils affirment se contenter de souligner qu’il n’y a pas de preuve en faveur de la supériorité des séries multiples. Une attitude raisonnable est alors, selon eux, d’utiliser la méthode la moins coûteuse – donc effectuer une seule série de chaque exercice de musculation dans une séance – puisque rien ne montre qu’elle est moins efficace. A ce stade du débat, les auteurs ne font donc pas la démonstration de la supériorité de la série unique sur les séries multiples, mais contestent la pertinence de ces dernières en faisant porter la charge de la preuve sur leurs adversaires. Ces publications ont bien sûr suscité de très vives réactions.

Une analyse orientée, pas de preuve irréfutable

En 2003, Berger répond point par point à Carpinelli pour défendre le travail publié quarante ans plus tôt6 . L’auteur élude dans cette réponse la question du contrôle des variables. En revanche, il soutient la pertinence du traitement statistique des données. Carpinelli répondra à son tour7, en citant plusieurs études démontrant l’équivalence des entraînements à série unique et à séries multiples. Il reprendra également les critiques précédemment formulées, et réaffirmera son point de vue sur le traitement statistique des données opéré par Berger, biaisé selon lui.

Par ailleurs, suite à la publication de l’article de 1998, les contradicteurs de Carpinelli ont mis en avant d’autres études que celle de Berger. Ces études sont supposées démontrer la plus grande efficacité des entraînements à séries multiples. Dans une lettre ouverte, un collectif de chercheur (Ronald Byrd signe la publication en premier nom8), soutenant les séries multiples, cite dix-huit recherches dont les résultats auraient été omis de la revue de lecture réalisée par Carpinelli et Otto. Carpinelli répond en affirmant qu’aucune des études citées par Byrd et ses collaborateurs ne permet réellement de se prononcer indiscutablement en faveur des séries multiples.

Pour savoir pourquoi un argument décisif ne parvient pas à l’emporter, il est nécessaire de se pencher précisément sur le contenu de la controverse, en s’attardant par exemple sur l’une des études citées par Carpinelli9 comme permettant de conclure à une équivalence entre les deux types d’entraînement. Dans leur lettre ouverte, Byrd et ses collaborateurs rapportent que l’étude en question mentionne des gains de force similaires lors des treize premières semaines (sur vingt-quatre) de l’expérimentation, mais que la seconde période se caractérise par des gains plus importants pour ceux qui suivent le programme à séries multiples. Pour eux, c’est la preuve que les programmes à séries multiples sont plus efficaces que les programmes à série unique sur de longues périodes de temps. Carpinelli répondra à son tour en affirmant que cette « dissection » par période est non pertinente et ne tient pas compte de la conclusion des auteurs de l’article, qui est que les différences entre les deux programmes furent non significatives. Plusieurs études publiées parfois antérieurement à la controverse sont ainsi rediscutées. Même quand les résultats bruts et la validité des protocoles ne sont pas eux-mêmes remis en cause, les faits sont suffisamment « flexibles » pour que chacun des deux camps parvienne à les « faire parler » pour soutenir sa position : les auteurs parviennent toujours à invoquer des variables, non prises en compte par une étude, pour expliquer les résultats obtenus dans le cadre de celle-ci. Aucune preuve irréfutable ne semble en fait avoir été fournie : les mêmes données peuvent être présentées de façon à alimenter l’argumentaire de chacun des deux camps.

Le déplacement du conflit sur le terrain des statistiques

Les diverses recherches présentées par l’un et l’autre camp mobilisent des outils statistiques visant à déterminer si des différences significatives apparaissent entre les différents groupes de sujets comparés. L’exactitude des procédures d’analyse statistique devient, à la suite de la publication des études citée précédemment, un élément central du débat. Plusieurs méta-analyses sont publiées. Il s’agit d’analyses statistiques qui combinent les résultats de séries d’études indépendantes déjà publiées. Une telle démarche doit permettre, en augmentant le nombre de cas étudiés, de tirer des conclusions plus fiables que celles présentées dans chacune des études prise indépendamment des autres. Rhea et ses collaborateurs10 affirment que la réalisation de méta-analyses permet de dépasser le problème de la faible puissance statistique des recherches qui ont été menées. Pour les auteurs, le fait que de nombreuses études ne parviennent pas à identifier de différence significative entre protocoles à série unique et à séries multiples serait effectivement dû au fait qu’elles portent sur des échantillons trop réduits. Cela diminuerait les chances que les différences observées entre les groupes dépassent le seuil statistique de significativité. En cumulant le nombre de cas, les méta-analyses doivent démontrer la supériorité des protocoles à séries multiples.

On atteint en 2004 un troisième niveau de dispute, avec la publication de revues de lectures critiquant les méta-analyses. Pour le camp de la série unique, toutes ces études présentent des biais méthodologiques importants, et de fait aucune ne permet réellement de soutenir l’idée d’une plus grande efficacité des protocoles à séries multiples. Winett11 passe ainsi en revue quatre méta-analyses, contestant la façon dont les données ont été agrégées, les modalités d’analyse statistique, ou bien tout simplement la non inclusion de certaines études.

La dispute ne porte plus à proprement parler sur des dispositifs expérimentaux et des données, mais sur des outils d’agrégation et de calcul qui vont permettre de résumer et de synthétiser ces données. On peut ici soutenir l’idée selon laquelle l’augmentation du nombre d’étapes entre l’observation et les conclusions des chercheurs augmente la flexibilité interprétative des faits. Il semble qu’il y ait toujours quelque chose à redire sur les outils utilisés par les opposants, et c’est en définitive la possibilité même d’une sortie de la dispute qui semble remise en question quand on passe d’une simple critique de tel ou tel protocole expérimental à l’analyse critique de méta-analyses qui elles-mêmes synthétisent un grand nombre d’études.

Un conflit de surface

L’argumentaire déployé par les partisans de la série unique s’est dès le début inscrit dans une logique de dénonciation. Carpinelli évoque à plusieurs reprises une forme de lobbying des chercheurs de l’ACSM12. Ceux-ci entretiendraient volontairement la croyance en l’efficacité de gros volumes entraînement. Les diverses méthodes de musculation à séries multiples donnent en effet lieu à une grande quantité de recherches sur les différents paramètres de l’entraînement. Pour les partisans de la série unique, ces méthodes sont inutilement compliquées, et servent surtout à légitimer la position des chercheurs qui, de leur côté, auraient tout intérêt à entretenir cette « pseudo-science » de l’entraînement. Les scientifiques seraient réfractaires à tout changement, et perpétueraient donc, de façon volontaire, la croyance en des connaissances non valides. Carpinelli dénonce également le manque de neutralité des expertises effectuées sur son travail.

Les articles scientifiques, avant d’être publiés, sont soumis à d’autres scientifiques de manière anonyme pour être évalués. L’anonymat doit garantir la neutralité de l’évaluation. Or, selon Carpinelli, avant d’être adressé au Journal of exercise physiology online, l’article critiquant le « position stand » de l’ACSM a été refusé par trois responsables de publication malgré des expertises favorables. Pour Carpinelli, il s’agit d’un refus de la remise en cause de connaissances bien instituées (la supériorité des séries multiples), qui ne permet pas de rendre visibles les nouvelles connaissances. Réciproquement, selon lui, le « position stand » de l’ACSM, aurait bénéficié d’expertises trop indulgentes.

De leur côté, certains protagonistes du camp opposé se sont employés à répondre aux accusations de Carpinelli13. Lui et ses collaborateurs sont perçus comme des agitateurs qui cherchent à acquérir de la visibilité par la critique des connaissances et des théories établies. On leur reproche de ne pas mener eux-mêmes d’expérimentation et de se contenter de réaliser des revues de littérature en attaquant de façon répétée les connaissances bien acceptées par la communauté scientifique.

Les réceptions des débats scientifiques sur la série unique par les pratiquants de musculation

L’espace de vulgarisation ultime : le forum internet

Les forums constituent une source particulièrement riche pour une analyse centrée sur des savoirs en débat, car leur dimension non physique fait peser une contrainte argumentative qui rend très ouvertes les possibilités de discussion : en bref, pour dire quelque chose, il faut se justifier, avancer ses arguments… et dévoiler ainsi ses idées, ses sources, ses pratiques. Les forums constituent par ailleurs un espace permettant de rapprocher et de comparer des expériences vécues. Ce rapprochement permet de totaliser des données relatives aux performances des internautes, ce qui aboutit à la réalisation d’une expertise collective et contradictoire sur l’intérêt de la série unique. Ils sont ainsi un élément d’analyse particulièrement intéressant dès lors que l’on s’intéresse à la réception, par les pratiquants, de nouvelles pratiques, conceptions, et idées relatives à l’entraînement.

L’accès et la qualité de l’information au cœur du problème

L’accès aux recherches sur la série unique semble être le plus souvent indirect. Beaucoup de messages pointent vers un site internet sur lequel Pascal Prévost, chercheur spécialiste en physiologie et biomécanique et préparateur physique, a diffusé et promu en France les études prônant l’utilisation de la série unique en musculation. D’autres sources sont citées, mais elles renvoient toujours, directement ou indirectement, sur le site internet de ce chercheur. Ces intermédiaires donnent accès à une importante littérature scientifique, en fournissant des bibliographies et des extraits d’articles. Les débats laissent apparaître, de façon plus ou moins tranchée en fonction des intervenants, une position que l’on pourrait qualifier de scientiste, tenue par ceux qui croient en l’efficacité de la série unique et qui accordent du crédit aux travaux scientifiques allant dans ce sens, et une position plus pragmatique qui relativise ou nie la possibilité de déduire de ces travaux des procédés d’entraînement efficaces. Paradoxalement, une partie des pratiquants les plus expérimentés critique les chercheurs en mobilisant eux-mêmes un contre argumentaire s’appuyant sur leurs propres connaissances scientifiques.

Le rôle des intermédiaires est particulièrement important, puisqu’ils sélectionnent et interprètent déjà pour leurs lecteurs les publications de référence que ces derniers n’auront majoritairement pas l’occasion de lire : outre le temps nécessaire à l’exploration d’une telle quantité de documents, la culture scientifique minimale pour dénicher les articles pertinents puis en extraire les informations nourrissant le débat, et surtout le tarif très élevé de l’accès aux publications de recherche (se procurer légalement l’ensemble de ces articles reviendrait à plusieurs centaines d’euros), limite d’emblée le lectorat aux universitaires. L’argumentaire qui en découle dans le débat publique induit donc de nombreuses limites. Comment savoir quel est le contexte général de l’étude ? Son protocole ? La population sur laquelle a été menée la recherche ? Alors quelle valeur pouvons nous attribuer à une publication, à ce que l’on nous rapporte de cette publication, et surtout quelles généralités pouvons nous en tirer ?

Il est intéressant de noter que la controverse a donné lieu à la publication de nombreux articles scientifiques visant à réfuter la thèse de l’efficacité de cette méthode (voir la première partie de cet article), et que ceux-ci ne sont que très peu cités sur les forums et sur les sites auxquels renvoient les internautes. Ils sont d’ailleurs, de façon générale, moins visibles sur la toile, surtout pour un internaute exclusivement francophone. Le fait que les sources scientifiques facilement disponibles sur internet renvoient toujours à des travaux favorables à la série unique, en dépit de l’existence de nombreuses recherches qui la remettent en cause, constitue sans doute un élément expliquant le fait que les attitudes anti-scientifiques se repèrent exclusivement du côté des opposants à cette méthode. Ce mécanisme de filtrage sélectif lorsque l’on cherche des informations sur internet contribue ainsi à renforcer la polarisation des débats autour de conceptions plus générales des relations entre science et entraînement.

Ainsi, même si tout n’est pas figé (les échanges sur le forum, la mise à l’épreuve pratique et la confrontation des expériences font parfois basculer les pratiquants dans un camps ou dans l’autre), la structuration de l’offre d’information sur le web se répercute sur les forums et tend à renforcer des dispositions plutôt pro ou anti-scientifiques en fonction de l’avis que l’on a sur la question de la série unique… ou à orienter l’avis que l’on se fait de la série unique en fonction d’une disposition plutôt pro ou anti-scientifique. On sort ici du cadre de la controverse de départ, et ce constat nous renvoie de façon plus générale à l’attitude que l’on peut avoir face aux innovations scientifiques (parfois controversées).

Le plaisir ne se discute pas

La série unique n’est pas seulement jugée en termes d’efficacité, et la mise en parallèle des différentes méthodes met en jeu d’autres considérations. L’analyse des discours dévoile des rapports différenciés entretenus par les pratiquants à leur activité en salle de musculation. Certains affirment rechercher le meilleur rapport entre le temps dépensé pour l’entraînement et les effets obtenus. D’autres, tout en cherchant à progresser, ne voient pas dans cette activité qu’un moyen pour se muscler ou être plus performant. Ces pratiquants, qui affirment aimer « pousser de la fonte », se disent soucieux des sensations liées à leurs entraînements. Ainsi, alors que les premiers veulent avant tout maximiser les bénéfices de leur pratique, les seconds sont aussi en quête de « sensations » liées au plaisir de l’effort musculaire et recherchent la « congestion » consécutive à l’exercice. Même quand s’y mêlent des motivations d’ordre plus utilitaires (devenir plus fort), ce deuxième type de rapport à la pratique de la musculation laisse très peu de prise aux arguments en faveur de la série unique (par rapport à ceux qui ne voient dans la musculation que quelque chose d’utilitaire). L’entraînement implique chez eux une dimension hédonique, l’effort musculaire devenant source de plaisir. La mise en œuvre de la série unique paraît dès lors contradictoire avec cette dimension hédonique de la pratique.

Un essoufflement du débat

Tout débat, aussi passionnel soit-il, est limitée dans le temps. Tôt ou tard, les thèmes de discussion changent. Le débat semble s’être essoufflé dans le milieu sportif dès lors que des athlètes, entraîneurs de renom et préparateurs physiques ont pris nonchalamment, parfois avec des références scientifiques, mais souvent avec des références de terrain, parti. Ils ont dans leur grande majorité rejeté la pratique de la série unique, et leur notoriété a suffit sinon à clore, au moins à repousser le débat.

Mais tant qu’elle demeure larvée, la controverse reviendra régulièrement sur le devant de la scène, relancée par un article ou une vidéo, un athlète, un chercheur ou un entraîneur.

En conclusion…

Finalement, que retirer de tout cela ? On ne paraît pas beaucoup plus avancés maintenant que l’on sait que :

  • même si d’un point de vue quantitatif, il y a davantage de scientifiques partisans des séries multiples, aucun argument ni aucune expérience véritablement décisive ne ressort. Comme souvent dans la recherche, il subsiste une forme de conflit « larvé »,
  • du côté des pratiquants, on constate que là aussi, les choses sont partagées (avec une majorité qui penche malgré tout du côté des séries multiples, mais, là encore il est difficile de trancher car l’histoire des méthodes d’entraînement a montré que la majorité n’avait pas toujours raison).

L’objet de ce court article n’est pas de donner raison à l’un ou l’autre camps ; il s’agit plutôt de donner quelques clés afin de se construire un avis éclairé. Finalement, voici ce que l’on peut retenir des analyses menées :

  1. La science ne dit pas n’importe quoi. Des arguments rationnels s’opposent. C’est justement parce que les scientifiques ne sont pas d’accord entre eux et essaient d’anéantir les arguments de leurs adversaires qu’ils se doivent de produire des faits et des théories solides. La science parvient à dire des choses justes notamment parce que c’est un système conflictuel et critique. Pour autant, la science (et a fortiori dans le domaine sportif) évolue : même si à un instant t une théorie est valable, elle peut être jugée fausse plus tard, par exemple grâce aux progrès des technologies qui permettent de réaliser des mesures plus précises.

  2. Notons que tous les domaines ne sont pas investis par les chercheurs de façon égale. Il y a des domaines délaissés, et d’autres très prisés. En outre, les chercheurs déploient des stratégies afin d’acquérir de la reconnaissance scientifique (On peut par exemple chercher à s’opposer à une théorie bien établie, ce qui sera risqué mais garantira beaucoup de reconnaissance en cas de succès, ou au contraire essayer de consolider une position théorique acceptée majoritairement, ce qui est moins risqué mais rapporte aussi potentiellement moins de renommée). Cette observation est encore plus marquée chez les théoriciens de l’entraînement reprenant les résultats scientifiques à leur compte : en quête de sensationnel ou emprunts de corporatisme ou de conservatisme, ils peuvent poursuivre des objectifs complexes et rendre compte à leur auditoire de manière variée.

  3. Il n’est pas toujours possible, à un instant t, de trancher entre deux positions. Les résultats des expériences peuvent être interprétés différemment par untel ou untel, surtout dans le domaine sportif où il y a un nombre de variables incalculable à prendre en compte (comment contrôler simultanément toutes les variables comme le vécu sportif, les caractéristiques physiologiques personnelles, la qualité du sommeil, l’alimentation, la dépense énergétique quotidienne hors expérimentation, etc.). Le manque de contrôle des variables rend difficile l’établissement de corrélations simples et univoques, entre par exemple une méthode d’entraînement et un résultat.

  4. Ajoutons à cela que les contextes expérimentaux ne reproduisent souvent que partiellement les conditions réelles de la pratique sportive (notons toutefois que la miniaturisation des instruments de mesure permet de plus en plus de mener des investigations en véritable contexte sportif).

  5. Les résultats scientifiques, quand ils sont réappropriés par le monde l’entraînement, sont souvent déformés, caricaturés dans le sens où l’on généralise et où l’on passe sous silence (ou pire encore, l’on ne connaît pas) les conditions réelles d’expérimentation.14

  6. L’utilisation d’internet d’une part biaise l’accès à l’information et d’autre part tend à renforcer des positions extrêmes, notamment sur les forums parce que ce sont les personnes les plus motivées pour défendre une position qui sont les plus visibles.

Forts de ces conclusions, nous nous risquons, pour finir, à quelques recommandations à l’usage des praticiens.

  • Vous pouvez être ouverts aux recherches scientifiques, mais privilégiez l’information de première main ! Des articles sont disponibles en ligne, gratuitement (pas la majorité, mais c’est toujours ça de pris). Les chercheurs publient parfois sous forme résumée les résultats de leur travail.
  • Allez toujours regarder le contexte des expérimentations mises en place, et pas seulement les conclusions.
  • Il peut être utile de vérifier si les résultats lus sont controversés (parfois une recherche sur les bases de données en sciences biologiques telles que pubmed avec une simple lecture des résumés vous aide déjà à y voir plus clair).
  • Il y a une part d’incertitude dans le domaine de l’entraînement. Il faut sans doute se résigner à l’accepter.
  • Tout n’est pas tout blanc ou tout noir, bon ou mauvais. Il y a des choses qui fonctionnent plus ou moins bien dans tel ou tel contexte en fonction d’objectifs bien déterminés (on pourrait aussi parler longuement à ce sujet des polémiques autour des étirements). Cela explique d’ailleurs en partie les résultats expérimentaux divergents difficiles à généraliser.
  • Conservez une mémoire (écrite ?) des effets de votre propre pratique.
  • L’expérience est importante, mais cela ne signifie pas qu’il faille tomber à tout jamais dans la routine. Il serait dommage de ne pas prendre quelques risques en innovant !
  • Finalement, la recherche scientifique vous donnera des outils pour réfléchir sur votre propre pratique, vous questionner, vous remettre en cause plus que pour déterminer ce que vous devez faire. Si l’on prend l’exemple de la série unique, les débats peuvent tout simplement amener à se demander si le volume de d’entraînement mobilisé est réellement optimal.

Cet article est tiré de deux publications dont voici les références :

Références bibliographiques

  1. Carpinelli R. N. et Otto R. M., « Strength training: single versus multiple sets », Sports medicine, Vol. 26, no 2, 1998, pp. 73-84.
  2. Carpinelli R. N., « Berger in retrospect: effect of varied weight training programmes on strength », British journal of sports medicine, Vol. 36, 2002, pp. 319-324.
  3. Berger R. A., « Effect of varied weight training programs on strength », Research quarterly, no 33, 1962, pp. 168-181.
  4. Carpinelli R. N., Otto R.M et Winett R. A., « A critical analysis of the ACSM position stand on resistance training : insufficient evidence to support recommended training protocols », Journal of exercise physiology online, Vol.7, n° 3, 2004. Une analyse critique similaire est menée quelques années plus tard pour critiquer la mise à jour faite par l’ACSM en 2009 de ses recommandations (Carpinelli R. N., « Challenging the American College of Sports Medicine 2009 Position Stand on resistance training », Medicina esportiva, Vol.13, 2009, pp. 131-137.)
  5. American College of Sports Medicine, « Position stand: Progression models in resistance training for healthy adults », Medicine and science in sports and exercise, Vol. 34, no 2, 2002, pp. 364-380.
  6. Berger R. A., « Response to “Berger in retrospect: effect of varied weight training programmes on strength” », British journal of sports medicine, Vol. 37, 2003, pp. 372-373.
  7. Carpinelli R. N., « Science versus opinion », British journal of sports medicine, Vol. 38, 2004, pp. 240-242.
  8. Byrd R., Chandler T. J., Conley M. S. et col., « Strength training : single versus multiple sets », Sports medicine, Vol. 27, no 6, pp. 409-412.
  9. de Hoyos D., Abe T., Gazarella C. et col., « Effect of 6 months of high- or low-volume resistance training on muscular strength and endurance », Medicine and science in sports and exercise, Vol. 30, no 5 (supplement), 1998, p. S165.
  10. Rhea M. R., Alvar B. A., Burkett L. N., « Single versus multiple sets for strength: A meta-analysis to address the controversy », Research quarterly for exercise and sport, Vol. 73, no 4, 2002, pp. 485-488.
  11. Winett R. A., « Meta-analyses do not support performance of multiple sets or high volume resistance training », Journal of exercise physiology online, Vol. 7, no 5, 2004.
  12. Carpinelli R. N., « The façade of knowledge », Journal of exercise physiology online, Vol. 8, no 6, 2005, p. vii.
  13. Kraemer W. J., « The body of knowledge : use and professionalism », Strength and conditioning journal, Vol. 27, 2005, pp. 33-35.
  14. Collinet C. « Une analyse sociologique des savoirs scientifiques comme ressources possibles de l’action d’enseignants d’EPS et d’entraîneurs », STAPS, no 71, 2006, pp. 115-133.

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Matthieu Delalandre
Matthieu Delalandre est professeur agrégé d’éducation physique et maître de conférences à l’Université Paris-Est Marne-La-Vallée. Ses recherches portent sur les conditions dans lesquelles sont construites et utilisées les connaissances scientifiques sur la performance sportive. Plus précisément, ses travaux se sont focalisés sur les controverses scientifiques, ainsi que sur les relations entre chercheurs et entraîneurs. Sur le plan sportif, il a pratiqué l’athlétisme, puis le jiu-jitsu brésilien depuis 2001. Après avoir été compétiteur, il enseigne aujourd’hui cette discipline au Cercle Tissier, à Vincennes.

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